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Que faire de l’avis des apprenants ?

La loi L6362-5 CT oblige les prestataires de formation professionnelle à mettre en œuvre une évaluation de la formation par les apprenants, sans préciser un formalisme particulier. Ce qui fait que traditionnellement les prestataires choisissent le LSAT, Learner SATisfaction, avec une échelle de valeur, les apprenants notent la formation. Mais il existe bien d’autres façons d’évaluer une formation  et une qui est fort peu utilisée est la gestion de l’avis des apprenants. Cette évaluation qualitative est beaucoup plus riche qu’une évaluation quantitative, alors comment faire pour réintégrer l’avis des apprenants dans les politiques de pilotage de la formation ? Qu’est-ce que l’on pourrait faire que l’on ne fasse déjà ? Et surtout en quoi cela ferait-il progrès ?

1, Les avis doivent être transparents

Un avis est au sens étymologique “ce qui est vu” par un individu, une opinion, la valeur qu’on lui donne. Platon, qui est le premier à avoir conceptualisé l’avis, l’oppose au savoir. La sagesse appartient aux sachants et l’illusion à ceux qui donnent leur avis. Autrement dit, la valeur donnée à l’avis est contraire à la vérité et à l’intelligence. On comprend mieux pourquoi d’idée d’un TripAdvisor de la formation, ou TrainningAdvisor n’a pas eu un gros succès auprès des experts de l’expertise. Mais l’idée fait son chemin avec des retours de pratiques particulièrement intéressantes. Il ne s’agit pas seulement de donner son avis, mais de donner son avis à lire à tous, socialiser son avis. Et donc de permettre aux autres apprenants de se faire un avis à partir de l’avis des autres. Howard Rheingold parle de “foules intelligentes, la nouvelle révolution sociale” (2005).

Le marketing montre que 9 Français sur 10 (91 %) lisent l’avis des autres pour se faire leur propre avis, avec d’ailleurs un regard beaucoup plus fin que ne le supposent les analystes. Des évaluations trop élogieuses ou trop peu nombreuse suscite la méfiance du groupe. Hormis les plateformes qui sécurisent la qualité de la donnée, les apprenants aiment écouter les mots choisis par leurs prédécesseurs. La confiance de l’évaluation entre pairs est beaucoup plus forte que la confiance des experts pour savoir si le contenu peut correspondre à mes attentes, l’horizontalité des systèmes d’évaluation. La politique de formation peut soit ignorer cette tendance soit l’organiser. Dans le premier cas, elle laisse la bouche à oreille faire son œuvre alors que dans le second cas, c’est elle qui structure l’information en demandant aux apprenants de produire des évaluations de plus ne plus fines de la situation et d’ailleurs, cela devient souvent un outil de communication efficace pour les formations que l’on peut pousser. La transparence organisée au service de la formation.

Cette pratique repose sur l’expérience connue de Solomon Asch (1951) qu’il a réalisé auprès de ses étudiants. On leur pose une question dont ils connaissent la réponse, mais tout le groupe choisit la mauvaise réponse, 75 % des sujets se rallient au groupe tout en sachant que la réponse est fausse. Cette expérience a connu de nombreuses variantes mais tous montrent un besoin de conformité. L’homme est un animal social. C’est un levier important de la pédagogie faire en sorte que les apprenants soient conformes au standard de connaissances et de compétences que la société a identifiées.

2, Les avis sont des engagements

Donner son avis est un engagement. Il est toujours surprenant que pour certains même liker un article est un acte de grande implication alors que pour d’autres, la valeur du like n’a pas la même valeur. Une phrase ou une idée devient une véritable épreuve d’engagement. Chacun préférant ne rien dire que de dire une bêtise, c’est tout le professional branding qui est en jeu. Et pourtant, cette réserve, peut être un atout pédagogique. Les apprenants qui se disent, construisent leur pensée plus que les autres avec l’obligation de choisir ses mots et surtout de leur donner une dimension sociale qui les imprime davantage dans leur esprit facilitant ainsi leur future prise de distance ou conscientisation. Il s’agit d’une courbe d’apprentissage, avec de la pratique, l’avis est de plus en plus riche et cela permet à l’apprenant de construire véritablement son idée. Apprendre à se dire commence par se dire.

Robert Cialdini dans Influence et manipulation (1984) a montré l’importance de la cohérence de sa pensée, plus on se trouve cohérent plus on croit à ce que l’on dit. Cela conduit à un biais cognitif, c’est que l’on finit par croire que la réalité devient le réel, autrement dit que ce que l’on croit est vrai, avec toute l’assertivité qui va de pair. Robert Cialdini avait étudié pour les vendeurs de voitures, qu’une fois que l’acheteur a fait son choix même si on change un élément important, comme le prix, il restera sur son choix. C’est une technique de vente qui consiste à choisir le moment de faire bouger les lignes. Quand un consommateur s’est fait son idée avec sa cohérence, il est très difficile d’en changer. C’est sans doute pour cela les experts sont si péremptoire. Un débat est un combat, c’est que chacun croit que sa réalité est la bonne, s’ils étaient vraiment experts, il parlerait du réel et non pas de leur réalité. La carte n’est pas le territoire disait Michel Houellebecq.

Autrement dit, la formulation sociale des avis est un apprentissage qui favorise l’engagement et le passage à l’acte. C’est la raison pour laquelle il faut penser l’expression des avis comme un élément de la politique de LGC, Learner Generated Content, où l’apprenant produit le contenu de la formation. La courbe d’apprentissage va prendre le temps nécessaire à la libération de la parole. Reste ensuite à former les animateurs pour construire une pédagogie agile, partir d’on ne sait où pour arriver aux fameux objectifs pédagogiques.

3, L’animation des avis

Les apprenants ne donnent leur avis que si on le leur demande. Le rôle de l’animation est donc de susciter cette demande. Animer, étymologiquement donner une âme, allumer le feu. Si la demande est bureaucratique au sens de Michel Crozier alors la réponse sera de même nature. Il s’agit de donner de la saveur à cet engagement. Il existe de nombreuse technique, je vous invite à explorer celle des challenges, chacun donne son avis, et chacun donne son avis sur l’avis de l’autre, c’est là où il est nécessaire d’avoir un animateur pour désacraliser l’engagement, favoriser le passage à l’acte. L’indicateur de réussite est assez facile le nombre et la qualité de l’engagement.

La grande question de l’animation n’est pas seulement la rhétorique de l’exercice, mais le fait d’avoir un sens. A quoi servent les avis ? S’il s’agit d’évaluer le formateur, à quoi sers cette évaluation ? Si on est “meilleur formateur de tous les temps” qu’est-ce que cela change ? Pareil pour le pire ? Sans cette réponse, on sait que l’engagement ne sert à rien socialement. Dans le cas d’un engagement transparent, on sait que les autres apprenants choisiront le meilleur formateur, c’est un geste altruiste pour éviter à leur pair de perdre leur temps. Et pourquoi pas demander aux apprenants de monter en puissance les compétences du formateur ? Là encore la qualité des avis est une courbe d’apprentissage si l’on sait que la bienveillance pour le formateur sera là, la parole s’en trouve d’autant libérée.

Enfin, on peut remarquer que si l’animation est aujourd’hui faite par l’animateur l’analyse peut très bien être industrialisé. L’intelligence artificielle sémiotique permet d’identifier le sens des mots et leur articulation. Si elle a encore des progrès à faire dans la maîtrise fine des subtilités de la langue, elle est assez performante pour construire un ROI de qualité. Une formation sur la connaissance nécessite l’usage des mots justes, il devrait y avoir une montée puissance des mots techniques par exemple. Cela se calcule très facilement, même pour un grand nombre, et, même anonymiser, si cela était nécessaire. Cette industrialisation par les questions ou les problématiques de pair à pair, montre que la pédagogie elle-même a pu oublier un ou deux grains dans son parcours, ce qui permet de s’ajuster assez facilement, voire de proposer une suite pour les parties non analysées. C’est tout le marketing de la formation qui s’invite, la demande n’est même plus formulée que déjà la formation répond à cette non-demande…

La bonne question sur l’avis des apprenants est la place que l’on donne aux apprenants. S’agit-il d’infantiliser les apprenants avec ce que certains appellent “l’Etat-nounou” où on met l’apprenant en dépendance à la bureaucratie qu’il ne maîtrise pas, ou s’agit-il de faire des apprenants des créateurs de leur propre formation ? En fonction de la réponse, l’avis de l’apprenant trouvera sa place dans la stratégie, ou non, de mettre l’apprenant au centre de la formation. Autrement dit, la place de l’avis de l’apprenant est un bon indicateur de la place de la formation par rapport à la sociologie de son usage : 20ème siècle, siècle des experts sachants, 21ème siècle, siècle des apprenants-rois. A vous de vous faire votre avis.

source de l’article : www.affen.fr/stéphaneDiebold